Publié dans Chronique

Dansou — Travestissement et androgynie chez les japonaises.

C’était à peine il y a quelques mois de cela que j’ai écouté pour la toute première fois Fudanjuku. De jolis visages et un univers coloré, une musique qui reste en tête et une chorégraphie rigolote, il ne m’en faut pas plus, mais ce qui les démarque vraiment, c’est que… tous les membres sont en fait des femmes.

En effet, avant d’être Fudanjuku, elles sont les Nakano Fujo Sisters, un groupe d’idols dont la particularité est que toutes ses membres sont des « otaku ». Un an après le lancement du groupe, soit en 2007, naît déjà Fudanjuku, où elles incarnent leur « alter ego masculin ».

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Gros succès auprès du public féminin. En 2011, Nakano Fujo Sisters cesse (temporairement ?) toute activité au profit de Fudanjuku.

A première vue, le concept peut paraître atypique, et pourtant, cette pratique qu’on appelle « dansou » est plus répandue qu’on ne le pense.

Aujourd’hui, je vous propose d’observer le phénomène, et, bien que je ne sois pas sûre d’être en mesure de le faire, pourquoi pas essayer de l’analyser ?


THE HOOPERS, le « petit-frère » de Fudanjuku, a débuté en 2014; et la même année, Senko Planeta Gate se fait une place à Akihabara sur la même scène où se sont produites Dempagumi.inc avant de décoller. Ils sont rapidement suivis de AIZENN, qui se forme l’année suivante. 2015 a aussi vu les débuts du modèle photo Root dans la musique, avec son groupe Signal.

Des membres d’AKB48 se sont également prêtées plusieurs fois à l’exercice.

Et l’idée a fait son chemin jusqu’en Chine, comme on a pu le voir il y a quelques semaines avec l’annonce du « premier boys band chinois composé uniquement de filles », FFC-Acrush, qui débutera plus tard cette année.

On peut supposer que cette tendance vient de la revue Takarazuka, une très célèbre compagnie théâtrale où tous les rôles sont assurés par des femmes.

Dans l’Histoire, le théâtre a longtemps été réservé aux hommes, qui interprétaient alors aussi bien les rôles masculins que féminins. Ici, c’est l’inverse: il n’y a que des femmes sur scènes. Les « musumeyaku » incarnent les personnages féminins tandis que les « otokoyaku » se glissent dans la peau des personnages masculins.

Bien que ça soit un milieu dominé par les femmes (aussi bien sur scène que dans les coulisses!), et qui offrait la possibilité d’être autre chose qu’une mère au foyer, la revue Takarazuka n’est pas aussi progressiste qu’elle en a l’air. Elle a été fondée par un homme, en 1913. Kobayashi Ichizou dirige une entreprise ferroviaire privée, Hankyu, dont le réseau s’étend à travers le Kansai. Pour booster ses ventes de tickets de train et attirer des gens sur sa nouvelle ligne située dans la ville de Takarazuka, il a eu la bonne idée de créer la première troupe de théâtre entièrement féminine.

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Vous connaissez peut-être Yamato Yuga, célèbre (ancienne) otokoyaku qui a joué Tuxedo Mask dans trois des comédies musicales Sailor Moon ?

L’univers de la revue très attaché aux stéréotypes de genre et à l’hétéronormativité. Pendant longtemps, les femmes n’avaient pas le droit de se couper les cheveux; ça avait fait scandale quand une otokoyaku s’était autorisée une coupe courte. D’ailleurs, les otokoyaku, très populaires auprès de la gente féminine, dérangent. Dans les années 20, elles n’avaient même plus le droit de recevoir de courrier de leurs admiratrices, de peur que ça encourage l’homosexualité.

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Higashi Koyuki, dont j’ai parlé dans mon précédent article sur les manga publiés par sa femme et elle, était une otokoyaku pendant un an. Elle se consacre aujourd’hui à l’activisme LGBT.

Les règles y sont encore très strictes, mais la revue Takarazuka, plus particulièrement ses otokoyaku, les « dansou no reijin » (beauté en costume d’homme), n’en restent pas moins une source d’inspiration pour les manga explorant la question du genre, et pour les femmes adeptes du dansou.

Le phénomène dansou ne s’arrête pas à l’industrie de la musique. En effet, le concept rencontre un tel succès auprès des jeunes filles qu’on en fait des cafés, ou encore des host clubs.

QUEEN DOLCE est un exemple connu: tous ses serveurs sont en fait des serveuses… Pour aller encore plus loin, Blue Leopard est, comme ses initiales le laissent entendre, un « BL Cafe », où les « serveurs » flirtent entre eux.

Quant à Res.ty, c’est un service qui propose d’engager un escort « boy » pour vous tenir compagnie…

Si ça plait, c’est parce que ces femmes incarnent l’homme idéal aux yeux de ces jeunes filles: androgynes et à l’image des « bishounen » de shoujo manga, avec un sincère respect à l’égard des femmes.

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Dans l’épisode 7 de Maid-sama!, le café où travaille l’héroïne tient une journée « dansou ».

« Si tous les hommes étaient comme ça, je n’aurais aucun problème avec eux. Gentils, galents, sur qui on peut compter. »

Pour les amatrices des « dansou joshi », l’illusion est parfaite: ces comédiennes/ chanteuses/ serveuses/ hôtesses,… sont des hommes, mais qui ont des qualités féminines qui font qu’elles se sentent plus proches d’elles que des garçons qu’elles ont l’habitude de fréquenter. Elles se sentent comprises, et rassurées.

Et… certaines sont probablement lesbiennes ou bisexuelles, ce n’est pas dur d’imaginer qu’on peut accepter et vivre plus librement son attirance pour les femmes quand ces dernières se présentent comme des hommes, surtout dans une société hétéronormée. (Et ça marche dans l’autre sens, pour celles qui s’adonnent au danso.) Mais c’est un cas de figure dont on parle très peu.

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Quant à celles qui pratiquent le travestissement… pour certaines, c’est juste pour le théâtre, ou plus largement le travail. C’est aussi pour le cosplay parfois, milieu où le travestissement s’est tout naturellement fait sa place puisqu’il est courant d’y prendre l’apparence du sexe opposé. Reika est la « crossplayeuse » la plus connue dans le domaine.

Mais pour un certain nombre de femmes, c’est tout simplement leur style de tous les jours.

C’est le cas de la modèle photo AKIRA. Elle a beaucoup posé pour le magazine KERA, une référence en matière de mode alternative, et qui se spécialise dans les styles en vogue à Harajuku. Au début des années 2010, voire même un peu avant, les styles masculins étaient très à la mode.

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Pour ne citer qu’un exemple, je me souviens que beaucoup de « lolitas » s’essayaient à la mode « ouji » à une époque.

Et pendant l’âge d’or du visual kei, les chanteurs à l’apparence androgyne étaient vu comme « super cool » chez les jeunes.

Akira a aidé à populariser cette tendance, et elle était d’ailleurs vocaliste du groupe DISACODE. (Depuis, elle a entamé une carrière solo; son premier single était Aoki Tsuki Michite, le générique de fin de Kuroshitsuji: Book of Circus en 2014.)

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Le dansou a pris une telle ampleur qu’entre 2011 et 2013, KERA a sorti trois numéros spéciaux, « KERA BOKU », dédiés à la mode pour hommes, et Akira en était l’égérie.

Pour elle, son style exprime son refus des normes de genre. Presque hésitante à appeler ça du « cross-dressing », elle aimerait que chacun puisse porter ce qu’il lui plait, indépendamment de si ces vêtements sont « pour hommes » ou « pour femmes ». Elle explique que les filles comme elles ne cherchent pas à se faire passer pour des garçons, elles portent juste ce qu’elles veulent, et tant pis si ce n’est pas « féminin ».

C’est là que ça devient intéressant d’un point de vu social: il ne s’agit plus d’un rôle, ou de faire semblant d’être un garçon, mais d’être soi-même, de s’affranchir des rôles de genre et du concept de « féminité » qui dicte ce à quoi une femme devrait ressembler, et comment elle devrait se comporter.

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Et ses nombreuses fans l’adulent pour les raisons qu’on a déjà évoquées plus haut dans cet article.

L’éditeur en chef de Kera explique: « Women play a wider range of roles [than men] through marriage, childcare and work, but there is a persistent stereotype that women should be demure. They can feel free from all social constraints on women by disguising themselves as men. » 

Ne pas respecter les codes de la féminité et porter ce qui est typiquement « masculin » permet aux femmes de se libérer des contraintes sociales, du sexisme qu’engendre le statut de femme.

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« Garçon girls » (2013), un autre magazine qui se spécialise dans le danso.

Dans le domaine de la fiction, il n’est pas non plus rare de voir des personnages féminins à l’apparence androgyne, voire travesties, pour des raisons diverses et variées.

Et ce n’est que pour citer quelques exemples !

Je pense m’arrêter ici; je ne suis pas une experte sur le sujet mais je le trouve très intéressant et j’espère vous avoir fait découvrir des choses, et vous avoir donné une idée de ce qu’est le « dansou ». Je suis bien curieuse de savoir ce que vous en retirez, n’hésitez pas à me donner vos impressions dans les commentaires !