Découvrir des autrices japonaises

Cette page s’adresse à toutes celles et ceux qui ont lu Murakami, Mishima, peut-être même Souseki, et qui se demandent « mais où sont les femmes ? ». Elle s’adresse aussi à celles et ceux qui n’ont jamais lu de littérature japonaise et qui ne savent pas par où commencer, et qui, de préférence, aimeraient lire les oeuvres de romancières. Elle s’adresse évidemment à celles et ceux qui lisent des romans japonais depuis longtemps, qui connaissent déjà nombre d’autrices, mais qui sont en quête de nouveauté. En bref, tout le monde est bienvenue ici. Et pourquoi des autrices et seulement des autrices ? Hé bien pourquoi pas. On ne met jamais assez les femmes à l’honneur.

Cette liste n’est pas exhaustive et sera mise à jour au fil de mes lectures.


Ariyoshi Sawako

1931-1984

En France, on l’a qualifiée de Simone de Beauvoir des lettres japonaises. Pas convaincue par la pertinence de cette comparaison, je peux au moins vous confirmer que ses romans s’intéressent à la question de la condition des femmes et autres minorités dans la société.

Les Dames de Kimoto, notamment, suit trois générations de femmes pour tenter de définir la femme moderne à travers les époques et de trouver une place à la tradition dans une société en constante évolution.

Ariyoshi est une des plus grandes écrivaines de son époque, sans aucun doute une valeur sûre si vous ne savez pas trop vers qui vous tourner en premier. Les dames de Kimoto a été le coup de coeur de tous les proches à qui j’ai pu le faire lire.


Higuchi Ichiyô

1872-1896

Si vous pouvez voir ce visage sur les billets de 5000 yen, c’est parce que Higuchi Ichiyô a marqué son époque en étant une des autrices les plus importantes de l’époque Meiji et la première autrice des temps modernes.

Elle s’inspire de ses propres années passées dans le quartier des plaisirs de Yoshiwara pour écrire Qui est le plus grand ?, court roman qui avait à l’époque la particularité de s’intéresser au petit peuple. Des enfants, leurs querelles, leurs amourettes, mais surtout, le passage à l’âge adulte et la perte de l’innonce. Voilà ce que Higuchi dépeint dans ce livre qui fait aujourd’hui partie des classiques de la littérature japonaise.

Traduit du japonais classique, il est un peu laborieux à lire au début (avec une douzaine de notes rien que sur la première page) mais il ne fait aucun doute que, si on s’accroche, on arrivera à en apprécier le message et la poésie.


Itô Shiori

1989

Si le nom de Shiori Itô vous est familier, c’est sans doute parce que vous avez entendu parler de son procès contre l’influent Yamaguchi Noriyuki qu’elle a accusé de viol en 2015. Journaliste de métier, elle est aujourd’hui militante investie dans la lutte contre les violences sexuelles et est notamment connue pour être une des fondatrices du mouvement #WeToo, l’équivalent japonais de #MeToo.

Ce livre est son témoignage, un récit froid et factuel qui retrace son combat pour que justice soit faite. Une lecture révoltante mais nécessaire pour se rendre compte de l’ampleur du problème au Japon, où la loi différencie encore viol de « quasi-viol ».

Au-delà de son traumatisme, on découvre une jeune femme forte et pleine d’ambition, déterminée à changer la loi et les mentalités.


Iwasaki Mineko

1949

Peut-être avez-vous déjà envisagé dans votre vie de lire Geisha d’Arthur Golden, et si ça se trouve, c’est déjà fait, et vous avez même vu le film ! Hé bien oubliez-le, et lisez plutôt Ma vie de geisha d’Iwasaki Mineko, qui n’est autre que la geisha (ou plutôt geiko, comme on dit à Kyoto) qui a inspiré l’oeuvre de Golden et qui l’a aussi traîné en justice pour ne pas avoir respecté son anonymat, révélé certains détails qu’elle tenait à garder secret et déformé ses propos.

Dans cette autobiographie loin des clichés orientalistes de Golden, Iwasaki montre la réalité de l’activité de geisha. Un destin atypique et une personnalité forte ; deux ingrédients qui rendent ce récit aussi fascinant qu’informatif.


Kawakami Hiromi

1958

Ce titre vous dit peut-être quelque chose ! Les années douces a en effet été adapté en manga par nul autre que Taniguchi au début des années 2000.

Intimiste et poétique, il raconte la relation étonnante mais sincère d’une jeune femme célibataire avec son ancien professeur de littérature à travers des petits épisodes du quotidien, au comptoir d’un bar pour partager du saké ou en forêt pour la cueillette des champigons. On se laisse porter par la simplicité du récit jusqu’au dénouement où l’émotion nous frappe d’un coup.

Une histoire très touchante qu’on lit sans voir le temps passer !


Kawakami Mieko

1976

Après des petits boulots et une courte carrière de chanteuse et de blogueuse, Kawakami Mieko s’est finalement consacrée à l’écriture et… ça lui réussit plutôt bien.

Ouvertement féministe, ses propos font parfois polémiques, mais ce n’est pas pour autant qu’elle se retient de confronter Murakami Haruki quant au traitement de ses personnages féminins.

Dans Seins et Oeufs, Kawakami écrit sur les femmes et leur rapport à leur corps à travers Natsu, sa sœur Makiko, obsédée à l’idée de se faire refaire les seins, et Midoriko, sa nièce, qui se sent délaissée et confuse par rapport à cette décision. L’incompréhension et la frustration de cette dernière par rapport à son corps qui traverse la puberté parlera à chacune d’entre nous et le regard que sa mère porte sur son propre corps après l’accouchement poussera à la réflexion.


Murata Sayaka

1979

A l’instar de l’héroïne de son roman, Murata Sayaka a travaillé pendant dix-huit années dans un konbini, ces supérettes japonaises ouvertes 24h/24. Choix de vie atypique puisqu’être employé-e de supérette n’est pas exactement considéré comme une carrière, mais c’était un style de vie qui permettait à Murata d’avoir du temps à consacrer à l’écriture.

Keiko, âgée de 36 ans, travaille elle aussi à temps partiel dans un konbini. Emploi précaire, sans perspective de carrière, et toujours célibataire, sa situation inquiète ses proches. Pourtant, sa vie lui convient. Quand elle rencontre Shiraha, un autre marginal, elle y voit une opportunité de faire taire les jugements.

Une courte histoire sur le fait de sortir du moule et d’accepter sa différence.


Ogawa Ito

1973

Habituée des rayons des librairies française, on cite souvent Le restaurant de l’amour retrouvé, La papeterie Tsubaki, ou même plus récemment sa suite, La république du bonheur, comme les oeuvres majeures d’Ogawa Ito.

Pour changer, j’aimerais donc parler du Jardin arc-en-ciel, un roman plein de bons sentiments sur une famille pas comme les autres. Dans cette histoire où deux femmes s’aiment, élèvent deux enfants et s’intallent dans leur petit coin de paradis rapidement transformé en maison d’hôtes, tolérance et amour sont les mots d’ordre. Un livre qui fait du bien.


Ogawa Yôko

1962

Ogawa Yôko s’est démarquée avec son univers étrange, glauque, malsain, cru. Si ces livres les plus récents s’en éloignent, L’annulaire est dans cette lignée.

Après un accident de travail dans lequel elle perd une phalange, une jeune campagnarde en recherche d’emploi débarque en ville et devient l’assistante du docteur Deshimaru. Dans ce laboratoire, on conserve des « spécimens », des souvenirs sous toutes leurs formes, matérielles ou immatérielles. Dans ce cadre si particulier, assistante et docteur s’abandonnent au désir dans l’intimité d’une salle de bain.

Un récit intriguant, bizarre, inquiétant, érotique, que la curiosité malsaine nous fait lire d’une traite.


Uno Chiyo

1897-1996

Vie fascinante qu’est celle d’Uno Chiyo qui incarnait la « moga » par excellence, la modern girl des années 20 qui vivait librement, enchaînait les conquêtes, se mariait pour mieux divorcer. Décédée à 98 ans, elle laisse derrière elle l’image d’une femme qui n’a jamais vécu que par ses propres règles et qui a su s’inscrire dans l’histoire de la littérature comme l’une des plus grandes autrices japonaises.

Dans Ohan, elle se met dans la peau d’un bon à rien déchiré entre deux femmes : son épouse et une geisha qu’il fréquente en secret. Un roman qui a l’originalité d’être du point de vue d’un personnage masculin (je crois bien que pour l’instant, c’est le seul de cette liste), un homme lâche et égoïste qui ne sert qu’à encore mieux tourner en dérision les comportements d’époux infidèles (et soyez sûr-es qu’il en paiera les conséquences).


Yoshimoto Banana

1964

Sûrement une des autrices japonaises les plus connues à l’international grâce au succès de son roman Kitchen, Yoshimoto Banana écrit sur le dueil, la perte d’êtres chers, les familles non-conventionnelles et les gens qui sortent du moule.

Dans Kitchen, Mikage trouve du réconfort dans les cuisines après la mort de sa grand-mère. Elle reste dans un premier temps allongée dans la sienne jusqu’à ce qu’elle en trouve une encore plus à son goût chez Yuichi et Eriko. Elle s’invite donc chez eux le temps de se reconstruire.

Le deuil reste un thème central dans Moonlight Shadow, l’autre nouvelle qui constitue ce livre.


Koike Mariko

1952

Une rapide recherche ne vous apprendra pas grand chose sur Koike Mariko, si ce n’est qu’elle s’illustre plutôt dans les romans à suspense psychologique et dans le genre policier. C’est d’ailleurs comme ça qu’était vendu Le Chat dans le cercueil, et ça tombait bien, parce que c’était pile ce que je cherchais pour venir compléter cette liste.

30 ans après les faits, Hariu, aujourd’hui peintre de renommée, se replonge dans le drame qui a eu lieu du temps où était au pair chez un père veuf et sa fille. La petite Momoko ne s’ouvre qu’à Lala, sa chatte. Ca, Hariu l’a bien compris, l’accepte et, peu à peu, trouve sa place dans cette relation fusionnelle. C’est plus compliqué à concevoir pour Chinatsu, dont l’aversion pour les chats est incompatible avec ses projets de devenir la « nouvelle maman » de Momoko…

Et si meurtre(s) il y a, n’allez pas vous imaginer une enquête policière ou une ambiance angoissante… c’est avant tout le récit d’une tragédie, une histoire sur la part d’ombre qu’il y a en chacun-e d’entre nous. Malgré son rythme lent, c’est un roman très prenant, subtil, délicat, amer, et dont la conclusion réserve bien des rebondissements.


Yuzuki Yûko

1968

Parmi ses inspirations, Yuzuki Yûko cite Maurice Leblanc, Agatha Christie, mais aussi, et surtout!, Conan Doyle. Des noms qui suffiront à vous donner une idée du genre d’oeuvres qu’elle produit.

Le loup d’Hiroshima est un roman policier qui nous plonge dans l’univers de la pègre en nous faisant suivre le lieutenant Hioka, petit nouveau à la division chargée du crime organisée et sous les ordres du commandant Ôgami. Réputé pour être l’un des meilleurs enquêteurs du pays, on remet néanmoins ses méthodes en question et on le dit trop proche des yakuza…

Coup de cœur pour cette histoire extrêmement prenante où on retrouve guerres de gangs, meurtres, mystères, secrets et révélations bouleversantes. Ce qu’on appréciera tout particulièrement, c’est que l’autrice attache au moins autant d’importance à l’intrigue qu’à la relation entre le lieutenant et son chef…


Hiramatsu Yôko

1958

Reporter culinaire et littéraire, Hiramatsu Yôko a rédigé une série de chroniques sous le titre Saveurs d’aujourd’hui pour la revue All Yomimono dont les douze premiers épisodes ont été rassemblés pour faire naître Un Sandwich à Ginza.

L’autrice nous emmène dans des petites ruelles tokyoïtes, des quartiers animés d’Osaka, dans les montagnes d’Iga et même à Okinawa pour nous faire découvrir les saveurs du Japon et toutes les façons de les apprécier : à travers les saisons, en solitaire ou dans la convivialité d’une salle à la japonaise, dans un établissement qui a traversé les siècles ou dans un restaurant d’entreprise,… Hiramatsu décrit avec poésie des plats qui nous sont familiers mais aussi des mets plus atypiques, et tous sauront vous donner l’eau à la bouche.

Et qui de mieux que feu Taniguchi Jirô, géant du manga et auteur d’un Gourmet solitaire, pour venir illustrer ces délicieux récits ?


Yamamura Misa

1931-1996

Peu traduite en France, Yamamura Misa est pourtant une grande figure du roman policier au Japon avec plus de 70 ouvrages et une oeuvre portée aussi bien sur le petit écran que sur scène ou sur console.

En 75, elle commence une série de romans, « Katherine », qui finira par compter 38 tomes, le premier n’étant autre que Des cercueiles trop fleuris.

Derrière le raffinement de l’art de l’arrangement floral japonais se cachent liaisons, vengeances, fraudes et, finalement, meurtres. Catherine, la fille du vice-président des Etats-Unis et Ichiro, neveu du ministre des affaires étrangères, mènent l’enquête. Un élégant mariage entre les traditions et mœurs de la culture japonaise et les intrigues à l’occidentale signées Agatha Christie et Conan Doyle.


Arikawa Hiro

1972

Plus connue chez nous pour être l’autrice de Library Wars et, plus récemment, Les Mémoires d’un chat, Arikawa Hiro est une autrice de light novels à succès. Son sujet de prédilection est l’armée japonaise, quelque chose qui, personnellement, ne m’attire pas particulièrement, mais quand je suis tombée sur Au prochain arrêt, j’ai tout de suite été charmée.

Sur la ligne reliant Nishinomiya à Takarazuka, des histoires commencent, des histoires se terminent, et des destins se croisent. Amour, amitié, vengeance, rupture, nouveaux départs… ce sont des moments de vie touchants, vécus par des personnages imparfaits, mais authentiques.

On les suit au fil des saisons, alors que leurs histoires évoluent et s’entremêlent. Un récit tout en douceur, avec des messages forts.


Inaba Mayumi

1950-2014

Tout a commencé quand elle avait 16 ans. Inaba Mayumi remporte un concours de poésie, et, à partir de là, on ne l’arrête plus. Elle entame une carrière de romancière, remporte plusieurs prix et continue d’écrire jusqu’à ce qu’un cancer du pancréas l’emporte en 2014.

Je n’ai jamais autant pleuré en lisant un livre. 20 ans avec mon chat, comme son nom l’indique, retrace 20 ans de vie de l’autrice aux côtés de Mii. Récit semi-autobiographique, il montre le parcours d’une femme forte, « qui n’en fait qu’à sa tête », déterminée à suivre sa voie.Et à chaque étape, Mii est là. J’ai été émue parce que je me reconnaissait dans ses mots, qui débordent d’amour pour ce petit être. C’est un livre très touchant et très doux, même si dès la première page, on redoute la conclusion.


Sakuraba Kazuki

1971

Quelle ne fut pas ma surprise en me rendant compte que Sakuraba Kazuki n’était autre que l’autrice des light novels Gosick !!! Gosick qui a inspiré une adaptation anime dont j’étais dingue au collège ! Elle a connu un assez grand succès en tant qu’autrice de light novel avant d’écrire des romans, et rares sont ceux et celles qui ont pu faire cette transition. Transition réussie puisqu’elle a été récompensée à plusieurs reprises !

J’ai été complètement happée par La légende des filles rouges, une saga familiale assez similaire aux Dames de Kimoto dans sa structure : on suit trois générations de femmes au sein de la prestigieuse famille Akakuchiba. De fillette orpheline et illettrée à Grande Dame de la famille respectée pour ses dons de voyante, Man’yô donnera naissance à la sanguine Kemari, cheffe d’un gang de motardes pendant toute sa jeunesse et autrice à succès de shôjo manga dans sa vie de jeune adulte. La narratrice ? Sa fille, qui essaie de trouver sa place dans la société et dans cette famille où elle se sent bien banale et insignifiante par rapport aux autres femmes de la lignée. Des personnages passionnants, une histoire fascinante et une petite leçon d’histoire au passage, on voyage jusqu’en 1953 pour suivre leurs destins peu communs dans un Japon en constante évolution.

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