Deux mois plus tôt. Je sortais un article intitulé « RECOMMANDABLE! » où je rassemblais de petites trouvailles que j’avais envie de partager avec vous. Aujourd’hui, je reviens avec le même concept; seule différence, je parlerais de beaucoup moins de choses, pour pouvoir vraiment m’attarder sur chacune d’entre elles, elles le méritent bien.
Entrons tout de suite dans le vif du sujet avec ma dernière lecture: What is Obscenity ? The Story of a Good for Nothing Artist and Her Pussy par Rokudenashiko. Cette auteur, si le pseudonyme ne vous dit rien ou pas grand chose, peut-être la connaissez-vous sous son vrai nom, Megumi Igarashi. Elle a fait parler d’elle jusque chez nous quand elle s’est fait arrêter et condamnée pour obscénité en 2014. Son crime ? Avoir envoyé des scans de son sexe aux contributeurs de son crowfunding, campagne servant à financer la création d’un canoë kayak formé modelé à partir de sa vulve grâce à une imprimante 3D. Elle a été arrêtée une seconde fois, la même année, pour des raisons similaires.
Et son livre parle exactement de ça: son arrestation, son séjour en prison, mais aussi tout ce qui l’a poussé à créer des objets divers et variés représentant sa « manko », sa chatte comme on le dirait en français.
L’art vaginal, sans être exclusif au féminisme, y est intimement lié, mais quand Rokudenashiko a commencé à faire des dioramas et coques de téléphone à partir de son sexe, il n’y avait pas vraiment de message politique derrière. C’est avec les réactions, particulièrement celles des personnages âgées, qu’elle s’est rendue compte d’à quel point l’organe génital féminin était tabou, et « sale », tandis que les phallus était généralement plus acceptés, voire célébrer. C’est là qu’elle s’est donné pour mission de démystifier la chatte.
Elle a créé une mascotte, « Manko-chan » (Mademoiselle Chatte), dont elle souhaite faire une icone de la pop culture et qu’elle a décliné en figurines, peluches, et autres goodies.
J’adore ce qu’elle fait, et… elle prend tout avec humour, elle a tout simplement rien à foutre. Et pourtant, elle a été tournée en ridicule pendant son procès, sa profession a été remise en question, et les conditions de vie en prison sont des plus déplorables, mais pendant tout ce temps, elle pensait juste à quel manga cool ça allait faire.
Et effectivement, son livre, qui est plus un « roman graphique » j’imagine, est génial; il se focalise sur ses arrestations, mais contient également une interview très chouette avec Sion Sono, une partie qui retrace son parcours dans l’art vaginal, et une petite BD sur Manko-chan.
C’est à mettre entre toutes les mains, c’est un témoignage très intéressant et conté avec humour, et c’est l’occasion de se rendre compte comment la société, la japonaise ou même la nôtre, perçoit les vagins, et les conséquences que ça a, du coup, sur notre propre perception de notre corps.
Je vous ai donné de quoi lire, alors maintenant, quelque chose pour vos oreilles. Un de mes derniers coup de cœur musicaux en date, Mitski, une chanteuse nippo-américaine, que j’ai connue avec Happy, la chanson ci-dessus. La vidéo était dans mes recommandations sur Youtube depuis un moment, et quand j’ai finalement cliqué, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, et wow.
Dès les premières notes, la musique surprend tout de suite; je crois que c’était dans une interview qu’elle a expliqué qu’elle voulait un son « persistant » et « obsessif », et… c’est réussi. On ne sait même pas encore de quoi il s’agit qu’on est déjà mal à l’aise, et oppressant. Pourtant, la voix est si douce, mais les paroles confirment que quelque chose cloche. Dans Happy, Mitski parle de la poursuite vaine du bonheur, de se plier en quatre pour un homme qui s’en fout, de l’estime de soi, et dénonce les critères de beauté. Et elle ne fait pas dans la dentelle: le clip est très bien réalisé mais aussi assez violent et susceptible de choquer les âmes sensibles.
Personnellement, il fallait tout de suite que j’en entende davantage.
Happy est sur l’album Puberty 2, c’est déjà le quatrième album de la chanteuse. Elle y aborde des thèmes comme la recherche de soi, l’âge adulte, la dépression et l’anxiété, l’amour, et les critères de beauté occidentaux. Ma chanson préféré de l’album, et qui traite d’ailleurs de ce dernier sujet, n’est autre que Your Best American Girl. Le titre en dit déjà long.
C’est l’histoire d’une relation qui n’a jamais pu aboutir à cause de différences trop importantes, et plus largement, c’est son expérience avec le racisme; en venir à rejeter ses origines et sa culture par honte, pour se conformer à l’image de « l’Américaine parfaite » qu’on nous vend toujours blanche. C’est l’histoire d’un cœur brisé, mais à défaut d’avoir pu en aimer un autre, elle a appris quelque chose de bien plus précieux; s’aimer elle-même.
C’est très fort, le visuel est aussi percutant que les paroles. Dans le refrain, elle chante « Your mother wouldn’t approve of how my mother raised me / But I do, I think I do », et à la fin, quand elle s’accepte enfin, et qu’elle se rend compte que ça passe bien avant la validation d’un homme, elle remplace le « I think I do » par « I finally do » et… je pense que c’est un message que beaucoup ont besoin d’entendre. Et même si on n’est pas concernés, comme c’est mon cas par exemple, c’est quand même une expérience qu’on se doit d’écouter, dont on doit prendre connaissance.
On enchaîne sur la dernière partie de cet article qui va être beaucoup plus courte parce qu’il s’agit d’un manga dont j’ai à peine lu quelques chapitres, mais j’étais très excitée à l’idée qu’il soit en cours de traduction, et je veux le partager sans plus attendre, puis… pour ceux qui lisent le japonais, c’est jackpot. Bref !
Rappelez-vous: en mars 2013, Tokyo Disneyland célèbre son premier mariage entre personnes du même sexe. Les mariées sont Higashi Koyuki et Masuhara Hiroko. Deux activistes qui ont travaillé pour pas mal d’associations LGBT et qui, figurez-vous, ont écrit des manga sur leurs expériences.
Le premier est intitulé Lesbian-tekki Kekkon Seikatsu, et se base donc sur leur mariage. A ma connaissance, il n’est pas (encore) traduit… mais comme je le disais, si vous comprenez le japonais, alors pas de souci, n’hésitez pas à vous le procurer.
Et le deuxième, sorti l’année dernière, s’appelle Onna Doushi de Kodomo wo Umukoto ni Shimashita. Celui-ci, la traduction a été tout récemment entamé, et j’espère qu’elle ira jusqu’au bout. On y parle cette fois-ci d’adoption; vous le retrouverez d’ailleurs sur internet sous le nom de « Our Journey to Lesbian Motherhood ».
(On confond beaucoup les deux titres, si vous cherchez le premier, vous allez sans cesse tomber sur le deuxième comme si c’était un seul et même manga, alors que pas du tout.)
Seulement cinq chapitres dont un prologue sont disponibles pour le moment, mais je suis déjà tellement emballée!!, encore plus quand je vois le sommaire. Je le dis à chaque fois que je parle d’œuvres par des personnes LGBT sur des problématiques LGBT, mais c’est les voix qu’on doit absolument mettre en avant, et c’est un bon moyen d’en apprendre plus sur la situation au Japon et de se faire idée de ce qu’il en est au niveau de la loi. Ca mérite beaucoup de succès là-bas, mais ici aussi, ça ne peut pas nous faire de mal de nous intéresser au sujet. J’espère qu’un jour, les deux titres seront licenciés; en attendant, si vous pouvez mettre la main dessus, foncez.