Publié dans Chronique

Zootopie, ma réconciliation avec Disney.

Pour une fois, c’est du bien que je vais dire d’un film Disney. Parce que oui, si vous êtes dans anciens, vous savez que j’ai déjà parlé trois fois du studio sur mon blog: l’année dernière, entre février et mars, j’ai publié trois articles à ce sujet. Et c’était pas pour leur faire des éloges. Parce que j’ai beau adorer Disney, ces dernières années, ils n’ont fait que de me faire lever les yeux au ciel. J’ai donc écrit deux articles sur leur problème avec le « same face syndrome », où je parlais du fait que tous leurs personnages féminins les plus récents avaient exactement le même visage, et j’ai aussi posté sur Big Hero 6/Les Nouveaux Héros, film qui m’avait donné l’impression que Disney avait abandonné et se contentait maintenant de faire le minimum strict niveau scénario. Sur mon ancien blog, pour ceux qui s’en souviennent, j’avais aussi bien descendu Frozen/La Reine des Neiges, qui, à mes yeux, était un échec total et une de leurs pires productions.

Et à chaque fois, c’était des problèmes assez grave que je tentais de dénoncer: la misogynie, le racisme,… Rien de bien nouveau chez Disney, ne nous voilons pas la face. Mais à notre époque, c’est assez frustrant, presque révoltant, de voir que le studio se montre si peu progressiste, de constater qu’il n’apprend pas de ses erreurs, alors que ses productions sont distribuées à travers le monde et impactent des millions de personnes.

Du coup, quelle ne fut pas ma surprise quand je me suis retrouvée devant Zootopie ! Le dernier long-métrage de Disney est déjà dans les salles françaises depuis un mois, mais je n’ai pas eu l’occasion de le voir avant ce soir: maintenant que c’est enfin chose faite, voici mes impressions, encore toutes fraîches !

C’est l’histoire de Judy Hopps: une lapine qui vit dans un monde où les animaux ont évolués, et où proies et prédateurs vivent en harmonie. Malheureusement, ce n’est pas parce qu’ils cohabitent qu’il n’y a pas d’inégalités, et Judy va devoir y faire face très tôt, puisque son rêve est de devenir policière, et de rendre le monde meilleur. Seulement voilà, on n’a jamais vu un lapin devenir policier: les proies ne sont pas destinés à ce genre de profession. Mais notre héroïne est pleine de motivation, d’espoir et de ressources, et elle fera tout pour atteindre son objectif, et se rendre à Zootopie, la ville où l’on peut devenir qui l’on veut. Ou du moins, c’est ce que le slogan dit. La réalité est toute autre, et Judy l’apprendra à ses dépends: bien qu’elle fut la première de sa promo, elle sera chargée de la circulation, parce qu’en tant que lapine, personne ne la prend au sérieux. Mais c’est pendant ingrât qu’elle fera la rencontre de Nick Wilde, un renard, roi de l’arnaque qui ne sait pas gagner sa vie honnêtement et qui ne fait que de traîner dans des affaires louches. Leur relation ne partait pas sur de bonnes bases, mais de fil en aiguille, les deux vont être amenés à faire équipe et à se rapprocher…

Après La Reine des Neiges qui était… terrible. Les Nouveaux Héros qui avait des tendances un peu racistes et qui était super mal écrit. Vice-Versa qui, honnêtement, était pas mal du tout mais qui s’est un peu loupé niveau « body positivity »… Zootopie a été une vraie bouffée d’air frais: très axé sur la justice sociale, le film traite de discrimination (principalement de discrimination raciale) et, étonnamment, le fait plutôt bien…

(Et à partir de là, attendez-vous à des spoilers !)

zootopie_extrait_disney

Qui aurait espéré ça de Disney ? Certainement pas moi… ! Et pourtant. Bon, le film n’a pas fait un sans faute non plus, mais le studio n’a jamais été aussi progressiste et fait passer un super message, c’était le film que j’attendais et j’ai l’impression qu’on a fait un sacré pas en avant.

Le ton est donné dès le début du film: Judy veut devenir officier de police, mais ses parents essaient de l’en dissuader, et ses camarades se moquent de ses ambitions. Officier de police, ce n’est pas un métier de lapin. Il n’y a jamais eu de lapine dans cette profession. Elle vise trop haut, elle ferait mieux d’abandonner ses rêves et de se contenter de vendre des carottes, puisque c’est ce que font les lapins. Mais Judy est déterminée, elle va donner tout ce qu’elle a: pour une lapine, ce n’est effectivement pas facile d’intégrer la police, mais elle va redoubler d’efforts et exceller dans ce qu’elle fait, pour finalement être première de sa promotion.

Mais ce n’est pas assez. Elle a beau avoir fait ses preuves, ce n’est pas suffisant, parce qu’aux yeux de la société, elle reste une lapine. On ne la prend pas au sérieux, c’est pas une « vraie flic », elle est loin d’être sur un pied d’égalité avec ses coéquipiers, tous plus baraqués: ce sont des hommes, et des prédateurs qui plus est. Ses capacités ne sont pas reconnues, son supérieur pense que la seule raison pour laquelle Judy est ici, c’est parce qu’elle fait partie du programme d’intégration des mammifères.

Ce que traverse Judy est la réalité de beaucoup de femmes, surtout de femmes de couleur. On leur dit sans cesse qu’elles ne sont pas à la hauteur de telle ou telle profession, et quand elles se retrouvent finalement dans ces milieux-là, qu’elles y sont arrivées grâce à leurs capacités, elles peinent quand même à être prises au sérieux, à être vue comme des égales, il faut toujours faire encore plus d’efforts que les autres pour montrer qu’on vaut quelque chose. Sur ce point-là, le personnage de Judy sonnait vrai, et renvoie un bon message.

Mais le commentaire social ne s’arrête pas à ce personnage, évidemment. Zootopie cherche, avant tout, à parler de discrimination raciale. C’est toujours important d’en parler, et c’est toujours d’actualité, surtout aux Etats-Unis, donc excellent sujet. Encore faut-il qu’il soit bien traité. Et en grande partie, je trouve que le pari est réussi, mais, et c’est là mon premier problème avec Zootopie, parfois on ne sait pas trop qui est dans une position de privilège.

Clairement, le film veut dénoncer la suprématie blanche, le système qui régit notre société, qui privilégie les personnes blanches au détriment des personnes de couleur. Au départ, je pensais que Zootopie voulait faire ça par le biais de la dynamique prédateurs/proies: les prédateurs me semblaient incarner les oppresseurs, et les proies, bah, les oppressés, puisque même s’ils ne sont, au final, bah une minorité à Zootopie, ils sont dans une position d’infériorité parce qu’ils sont plus « petits », ils ont moins d’opportunités dans le monde du travail, ils sont moins pris au sérieux… Et il y a aussi eu cette scène qui, vraisemblablement, compare le mot « mignon » au mot « n*gro ».

(J’ai trouvé la comparaison un peu maladroite, surtout que c’est opposé au fait d’associer les policiers à des mangeurs de donuts et tout ça,… j’ai pas trouvé ça terrible, mais l’idée est là et le film dénonce les stéréotypes qui, même si maintenant les animaux, proies comme prédateurs, vivent et travaillent tous ensemble, persistent.)

Plus tard, il y a aussi une scène où Nick se permet de toucher la laine de Bellwether, et Judy lui fait remarquer que, bon, ça se fait pas !! Une façon de pointer du doigt les gens qui prennent la liberté de toucher les cheveux des personnes noires sans trop leur demander leur avis, sans se priver de faire des remarques lourdes et déplacées.

La métaphore était donc assez claire. Enfin, l’était-elle vraiment ? Parce qu’au milieu de tout ça, il y a eu une histoire de drogue: une substance qui rend les prédateurs violents, qui les fait revenir à l’état « sauvage », les poussant à attaquer les autres animaux. Et il se trouve que les seuls animaux à adopter ce comportement sont des prédateurs. Judy découvre cela pendant son enquête, et durant une conférence de presse, explique que pour l’instant, ce retour à l’état sauvage n’a été observé que chez des prédateurs, et même si on en ignore encore la cause, c’est probablement parce que c’est dans leurs gênes.

Donc à ce moment-là, les rôles sont inversés: c’est les prédateurs qui sont, d’un coup, associés aux personnes noires, et les proies qui symbolisent la suprématie blanche. Parce qu’après cette conférence de presse, les prédateurs sont vus comme des êtres dangereux, à qui on ne peut pas faire confiance, dont il faut toujours se méfier parce que « on ne sait jamais, c’est dans leur nature »,… Ils perdent leurs postes, sont traités comme des criminels, on a peur de s’asseoir à côté d’eux dans le métro,… et en réponse, les prédateurs, diabolisés par la police, font des manifestations qui ne sont pas sans rappeler le mouvement Black Lives Matter…

Mais du coup, c’est un peu confus, on commence à ne plus savoir qui sont les oppresseurs et les oppressés, qui est dans une position de privilège et qui souffre d’un système de discriminatoire: les proies ou les prédateurs ? Peut-être que tout n’est pas blanc ou tout noir, c’est vrai, mais si Zootopie se veut être un reflet de notre société, hé bien… malheureusement, si: notre société repose sur des systèmes d’oppression où les positions ne peuvent pas être inversées, les rôles ne peuvent pas être échangés.

Outre cette maladresse, je dois reconnaître que Zootopie traite bien son thème et fait des parallèles plus que cohérents.

Plus tard, on apprendra que la drogue en question avait été manufacturée par Bellweather. N’importe qui peut être affecté par la substance, et devenir violent: proies comme prédateur. Mais pour arriver à ses fins, Bellweather avait besoin de jouer sur les stéréotypes pour créer un climat anxiogène, il fallait qu’on doute des prédateurs, aussi furent-ils les seuls visés par son plan. Ce n’est pas sans rappeler de vieilles histoires, étouffées tant bien que mal, datant des années 80, où la CIA, sous les ordres de Reagan, avait introduit la cocaïne dans les « ghettos » dans le but de faire perdre sa crédibilité au mouvement Black Panthers, et éviter la révolte des minorités. Longue histoire, à jamais démentie et souvent accusée d’être une conspiration: on y croit ou pas, mais c’est sûrement celle qui est référencée ici.

Après, j’avoue que j’ai souvent du mal avec les films qui se servent d’une métaphore pour dénoncer des injustices, plutôt que de directement en parler clairement, d’être explicite. C’est juste que j’aime quand les choses sont claires, et que c’est pas une technique toujours efficace. (Le premier film du genre qui me vient en tête, c’est Cats don’t dance/Dany, le chat superstar; je sais pas si ça parle à certains mais le fait est que ce film avait le même concept et c’était assez mal exécuté.) Et j’ai été surprise de voir Zootopie s’en sortir, de faire quelque chose qui tient la route, qui dénonce efficacement des problèmes sociaux, qui montre que même si on est plus à l’époque de l’esclavage et de la ségrégation (ou à l’époque des « prédateurs qui chassent les proies sans défenses » en l’occurrence), il y a toujours de la discrimination, des injustices, de l’inégalité: la société a encore du chemin à faire, et la première chose à faire pour avancer, c’est de reconnaître que ces injustices existent. C’est pas seulement un message niais et superficiel sur comment « on est tous égaux, on doit tous s’accepter blabla ». On voit que Disney a voulu aller au fond des choses, pas juste traiter le problème en surface. C’est remarquable, c’est nécessaire, c’est inattendu. J’espère qu’ils continueront sur cette pente, ça me donne de l’espoir pour la suite.

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Et sinon, il est aussi bon de préciser qu’on ne s’ennuie pas une seconde devant Zootopie, c’est bien écrit, l’humour marche bien, les séquences émouvantes sont convaincantes (j’ai failli lâcher ma petite larme dès les premières minutes du film !!), et c’est pas désagréable du tout à regarder: la ville de Zootopie est aussi belle que bien pensée. J’ai pas fait particulièrement attention à la BO par contre, mais la participation de Shakira n’est pas passée inaperçue et a fait son petit effet !

Judy est un super personnage féminin, un vrai progrès comparé à ceux que Disney nous a servi dans ses derniers films. Entre Nick et elle, il y a une bonne alchimie. A la toute fin du film, il y a eu un petit instant de flirt, que j’ai plus interprété comme une blague entre amis: on peut dire que leur relation est strictement platonique. Du moins dans ce film-là: s’il venait à y avoir une suite, peut-être que… Mais là, pas de place pour la romance, pas de sous-entendus, ni d’arrières-pensées. C’est une relation de confiance, une amitié crédible et touchante. Et vous savez quoi ? je les imagine bien ensemble. Genre, vraiment bien. Quand une relation n’est pas forcée, quand deux personnages ne finissent pas ensemble juste parce que « c’est un garçon et une fille donc forcément ils doivent être plus qu’amis », ça marche mieux, c’est plus convaincant, ça donne pas l’impression d’être bâclé et d’être un simple produit de l’héténormativité. N’empêche, c’est bien de voir une relation platonique, de pas voir le personnage féminin réduit à ses intérêts romantiques, c’est rafraîchissant et j’espère que ça restera ainsi. Le fandom se chargera du reste, mais que ça reste dans le fandom, ça sera pour le mieux.

Sur ce, je crois avoir tout dit ! Agréable surprise par ce film, je vous encourage carrément à aller le voir pendant qu’il est encore en salles, parce que, je pensais pas redire ça d’un film Disney un jour, il vaut le coup. Intelligent, maladroit par moments, mais réellement intelligent, et en plus d’être un bon commentaire social, c’est beau, drôle, intéressant, un des meilleurs Disney depuis longtemps. Le prochain, Moana, sera-t-il aussi bon ? C’est ce que j’espère ! J’en attendais déjà beaucoup avant, mais maintenant que Disney m’a rappelé de quoi il était capable, je place la barre encore plus haut et j’espère ne pas être déçue.

4 commentaires sur « Zootopie, ma réconciliation avec Disney. »

  1. Quand j’ai vu que l’héroïne serait une lapin j’ai tout de suite vendu mon âme à Disney. Bon, entre temps, je ne suis toujours pas allée le voir (et je ne sais pas si j’en aurais la possibilité) mais je compte bien le regarder.
    Et ton article m’a conforté dans mon idée ! C’est chouette que le film soit aussi différent de ces prédécesseurs (même si je t’avoue que Big Hero 6 a été le premier Disney que j’ai aimé), je ne sais pas si les autres studios font eux aussi des choses plus ou moins engagées (l’animation, c’est pas trop mon truc) mais en tout cas, ça fait plaisir.
    Ça fait plaisir de voir que les choses changent, qu’ils écoutent peut-être un peu les fans… et surtout qu’ils se bougent le popotin.
    Merci pour ta vision du film et l’éclairage que tu lui portes !

    1. Merci beaucoup pour ton commentaire, ça me fait plaisir de savoir qu’il t’a donné davantage envie de le voir !
      Après, est-ce qu’ils vont continuer à se bouger ? Ca reste à voir… mais là, ils ont montré qu’ils avaient tellement de potentiel, ça serait dommage qu’on en reste ici !

  2. Je n’ai toujours pas vu Zootopie, manque de temps. Je n’ai pas non plus vu tes autres articles sur Disney (je rattraperais mon retard ;). Generalment quand un film parle de sujet sérieux et que ce n’est pas dit explicitement, j’ai un peu de mal à le deviner (plus ou moins selon les films).
    En tout cas grâce à toi j’ai pu apprendre quelque chose, et tu me donnes encore plus envie de le regarder, d’abord pour l’animation et tout, mais aussi pour me faire mon propre jugement quand a la qualité du traitement d’un tel sujet !!!

    1. Même si ce n’est pas dit explicitement, le thème n’est pas dur à deviner; parfois il y a des métaphores un peu plus subtiles mais le tout dans le tout ce n’est pas dur de voir quel parallèle ils ont cherché à faire ! J’espère qu’il te plaira quand tu le verras !!

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